Lors de ma visite à l’exposition « Ces portes de corne et d’ivoire » au Suquet des Artistes de Cannes, l’ancienne morgue municipale, choisie comme lieu d’exposition, conférait une atmosphère particulière aux œuvres de l’artiste Barbara Navi. Dès l’entrée, des toiles suspendues m’accueillaient, chacune semblant être une porte ouverte vers des mondes mystérieux. Les scènes, entre rêve et réalité, présentaient des personnages d’échelles différentes, cohabitant dans des paysages où les règles connues semblaient ne pas s’appliquer.

La disposition des tableaux évoquait un dialogue subtil entre les différentes œuvres, créant une narration visuelle complexe. Les différences d’échelles accentuaient le sentiment de malaise, les grandes figures menaçant l’insouciance des personnages inconscients du danger. Les toiles, suspendues dans cet entre-deux défini par le visiteur, semblaient être des instantanés délicats et éphémères, entre sommeil et éveil.

Le choix du titre, « Ces portes de corne et d’ivoire », prenait tout son sens au fur et à mesure de ma déambulation. Les œuvres semblaient être des portails vers des réalités oniriques, demandant au visiteur de décrypter le message prophétique contenu dans chaque tableau. La mélancolie propre à l’ancienne morgue ajoutait une dimension supplémentaire, transformant le lieu en un territoire de rencontre entre les vivants et les morts.

Les tableaux, imprégnés d’une richesse heuristique, exposaient des personnages absorbés dans leurs rêves ou leurs actions, créant une atmosphère voilée, comme une vision depuis le fond d’une piscine. Les regards baissés des personnages invitaient à une observation discrète, renforçant le mystère de chaque scène.

Au-delà de l’angoisse qui imprégnait certaines toiles, l’exposition dégageait un parfum d’optimisme. Les mondes en mutation créés par Barbara Navi semblaient prémonitoires, mais offraient une issue possible vers un bonheur à venir. La fenêtre ouverte sur le merveilleux et l’horizon exaltant laissait entrevoir une multitude d’hypothèses, invitant les visiteurs à plonger dans ces portes de corne et d’ivoire pour une expérience visuelle et émotionnelle inoubliable.

Après une formation en design et en architecture d’intérieur à l’École Boulle et des études de philosophie à la Sorbonne Paris-IV, Barbara Navi développe, depuis les années 2000, une œuvre picturale alliant inventivité plastique, expérimentation, et variété thématique. La photographie, le collage, la maquette, et la vidéo participent à la création des matériaux iconographiques employés dans ses œuvres.

Ses tableaux évoquent les strates de la mémoire, du passé archaïque, à travers des scènes rappelant des anamnèses, des souvenirs-songes, et leur syntaxe narrative, affranchie du temps conventionnel, peut également soutenir un récit d’anticipation. Des éléments improbables de paysages se télescopent dans un univers disloqué, où les archives familiales fétichisées entrent en contact avec des documents historiques et des fragments iconographiques de l’histoire de l’art.

Ces voyages spatio-temporels et l’effet de brouillage par l’enchâssement de décors hétérogènes définissent la spécificité visuelle du travail de la peintre au cours des deux dernières décennies. L’incise introduit l’énergie événementielle de la rencontre au sein de ces décors, contribuant à l’unité profonde d’un style caractérisé par des choix formels discrets et patiemment élaborés, tels que la disproportion des échelles, la fragmentation, le sens de la greffe, et la texture veloutée et soyeuse qui révèle, par contraste, l’abrupte violence du monde dont les tableaux témoignent.

Les œuvres de Barbara Navi exposent des incendies, des turbulences, des cratères, des effluves, reflétant l’agitation d’une nature en proie à la dérive, stigmatisant les aléas historiques et écologiques. L’anthropocène semble y être assimilé à un désastre, mais l’artiste n’exclut pas la possibilité d’une conjuration, d’un renouveau, d’une utopie, annoncés par le culte du détail discordant de ses tableaux, où l’espoir trouve sa place, comme le suggérait Verlaine.

Barbara Navi a exposé en France et à l’étranger, notamment au centre d’art contemporain « À Cent Mètres du Centre du Monde » de Perpignan (2022), à L’Ar(t)senal de Dreux (2021), au Musée Benoît-De-Puydt de Bailleul (2020), au centre d’Histoire et Mémorial’ 14-18 de Notre-Dame-de-Lorette, au Centre d’art contemporain Centrul-de-Interes de Cluj-Napoca en Roumanie (2018), au Musée La-Piscine de Roubaix (2018), à l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue (2017), et à la « Baumwollspinnerei » de Leipzig (2013).

Exposition du 3 février au 28 avril 2024.

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Christian Lange est un artiste et photographe belge renommé, fondateur et éditeur du site Access Cannes ® ainsi que du Magazine CHIC®. Il expose régulièrement ses œuvres dans des villes telles que Paris, Saint-Barth, Cannes et Monaco. Après plusieurs années passées à Saint-Barth, il est revenu pour s'installer définitivement à Cannes. Il a travaillé comme attaché de presse pour des tour-opérateurs de prestige et possède une vaste expérience professionnelle dans l'hôtellerie de luxe. Avec son épouse Loélia Pissot, il a conçu une plateforme de vente en ligne pour les artistes émergents et reconnus : Art Collect Store. Il est également membre de l'OMPP (Organisation mondiale de la presse périodique) depuis 1999. Carte de presse N°161.

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